SCIENCES
 

Lorsqu'ils sont attaqués par des insectes herbivores, telles les chenilles, les végétaux élaborent spontanément des substances chimiques volatiles. Celles-ci attirent les prédateurs de ces mêmes herbivores qui agissent pour les plantes comme des gardes du corps en tuant ce qui les dévore.

Les chercheurs tentent de s'inspirer de ce dialogue entre plantes et insectes pour protéger les cultures de la menace de certains insectes ravageurs.

Cette approche, moins dangereuse pour l'homme et pour l'environnement que les pesticides chimiques, implique une solide connaissance des écosystèmes dans lesquels elle s'exerce. Les études qui commencent à se développer sur le terrain vont dans ce sens. Mais beaucoup reste à faire pour saisir tous les avantages et les inconvénients que présente, pour les plantes, ce système naturel de défense.

Le Monde, 06 Avril 2001,
revue "Nature", traduit par Sylvette Gleize.

Harcèlement sexuel,
Pour essayer de piéger un beau costaud, les femelles d'une espèce de charançons d'Amérique centrale s'accouplent entre elles devant les prétendants potentiels. Les mâles de ces ravageurs du citronnier sont chétifs, notent les entomologistes Ally Harari, du Centre Volcani à Beit Dagan (Israël) et Jane Brockmann, de l'Université de Floride à Ganesville. Et c'est là à leurs yeux que réside la raison des pratiques "lesbiennes" de ces charançonnes. Comme elles imitent en outre à la perfection les attributs mâles en matière de coloration, deux femelles in copula ressemblent comme deux gouttes à un couples "hétéro".

Lorsqu'un mâle s'approche d'elles, il se comporte toujours comme si l'individu monté sur le dos de la femelle était un autre mâle et l'en repousse énergiquement. Plus ce mâle est fort, plus il a de chance d'éliminer son (ou sa) rival(e). Dans les deux cas, le piège fonctionne puisque la femelle obtient les faveurs du prétendant le plus méritant. A moins que ces femelles du Nouveau Monde ne cherchent en réalité à réduire le "harcèlement sexuel" de leurs chers charançons!

Dossier BIOsciences N°2.

Zoom

L'araignée sauteuse fait de l'oeil aux chercheurs

Les yeux de l'araignée sauteuse possèdent une rétine qui vibre latéralement, comme un véritable scanner à balayage.

L'araignée sauteuse a des allures de crabe poilu. Mais elle a surtout quatre paires de mirettes sombres fort intéressantes pour donner des yeux aux robots. La rétine des Salticidae sert en effet de modèle à un nouveau capteur d'images pour en améliorer les performances.

Cette rétine possède une étonnante propriété: elle vibre latéralement. Une aptitude qui en fait un véritable scanner à balayage.Cet appareil numérise des images à l'aide d'une fine barrette qui se déplace le long du document.Des chercheurs du Center for Neuromorphic Systems Engineering (CNSE) de Pasadena (Californie) ont ainsi imaginé un système optique mobile qui mime le fonctionnement de la rétine arachnéenne.

Cette rétine bionique est constituée d'une lentille fixée par quatre ressorts. La lentille focalise l'image sur une puce, un capteur d'images analogue à ceux qu'on trouve dans les appareils photo numérique ou les caméras vidéo. La distance entre la puce et la lentille reste fixe, de sorte que l'image soit toujours nette. En faisant vibrer la lentille latéralement, le capteur balaie un champs de "vision" plus large. Tout se passe donc comme si le capteur était doté de beaucoup plus d'éléments sensibles à la lumière.

Les chercheurs du CNSE envisagent d'installer le système sur un robot mobile. Le mouvement de l'engin pourrait alors, sans dépense d'énergie, provoquer les vibrations recherchées de la lentille. Seul hic: l'arrêt du robot le rendrait presque aveugle. Ce qui n'empêche pas l'équipe d'Oliver Landolt d'imaginer un prototype partant à la découvert de Mars. Mais le petit robot errant aux yeux d'araignée n'est pas près de mettre les pieds sur la planète rouge. Les performances optiques et la fiabilité mécanique restent à évaluer. Et le capteur n'a pas encore prouvé ses capacités sur un robot terrestre. (...)

En 1997, Nicolas Franceschini (Laboratoire de neurocybernétique, CNRS, Marseille) avait déjà mis en évidence un mécanisme de microbalayage dans la rétine de la mouche. Deux ans plus tard, l'oeil de mouche bionique était réalisé et monté sur un microrobot aérien de 100 grammes, le robot-mouche exposé à la Cité des Sciences et de l'Industrie de la Villette. Capable de naviguer à vue en évitant les obstacles, cet engin a déjà la particularité de "voir" des objets même faiblement contrastés, grâce à une "super résolution".

La mouche et l'araignée ne seront pas les derniers animaux à faire de l'oeil aux chercheurs. Du sonar de chauve-souris au système d'adhésion des pattes de gecko, les particularités physiologiques développées par le monde animal inspirent les scientifiques. Une manière de profiter des milliards d'années de "recherche et développement" du vivant.

Adélaïde Robert,
Libération, 08 Avril 2001.

Une boussole dans les yeux,
Une des trois paires d'yeux secondaires dont est pourvue, comme de nombreuses autres espèces d'araignées, une araignée commune du nord de l'Europe, Drassodes cupreus, est en fait un "organe boussole".

Marie Dacke et ses collègues de l'Université de Lund (Suède) ont découvert que cette espèce possède, sur le dessus de son céphalothorax, une paire d'yeux secondaire exclusivement spécialisés dans l'analyse de la polarisation de la lumière, ce qui lui permet de s'orienter. Ces yeux, dépourvus de lentille et dont la cornée joue le rôle d'une simple fenêtre exposant la rétine à la lumière du ciel, ne permettent pas la formation d'image mais leurs filtres incorporés détectent la direction de la polarisation. L'éclat bleu d'un oeil s'éteint lorsque la lumière est polarisée perpendiculairement à son grand axe, tandis que l'autre s'éclaire un peu, et vice versa. En comparant les signaux de l'oeil droit et ceux de l'oeil gauche, l'araignée peut s'orienter. L'efficacité de cette boussole est maximale après le coucher du Soleil et avant son lever, quand la lumière n'est polarisée que dans une seule direction et qu'aucun rayon solaire ne gêne l'analyse. Et effectivement, le crépuscule et l'aube correspondent aux périodes d'activité des araignées.

Des insectes tels que l'abeille ou la fourmi se servent aussi de la lumière polarisée comme d'une boussole mais, pour cela, ils n'utilisent qu'une petite partie d'un organe dédié à d'autres tâches visuelles.

Dossier BIOsciences N°2.

De salutaires vibrations

Chez l'araignée, l'accouplement est une entreprise à haut risque: il faut inhiber le cannibalisme de la femelle. Chez les agélénides, celle-ci émet des signaux sexuels volatils. Le mâle attiré se saisit d'un fil de cheminement, riche aussi en phéromones, et le suit, tel un fil d'Ariane. Arrivé en bordure de toile, il doit décliner son identité. Pour ce faire, il utilise des fils de soie afin d'envoyer une série de signaux vibratoires. De structure complexe, ces signaux sont organisés en phrases de quelques secondes. Se succèdent tiraillements et secousses avec les pattes, tambourinements avec les pédipalpes et battements d'abdomen. Propagés de fil en fil le long de la toile, les ondes parviennent aux détecteurs de vibrations localisés sur les pattes de la femelle. Celle-ci répond par de nouvelles vibrations qui incitent le mâle à s'approcher davantage.

Bertrand Krafft,
Sciences et Avenir / Hors-série, Juillet 2002.

Araignées et toiles

Apparues voici environ 350 millions d'années, les araignées sont restées morphologiquement stables au cours de l'évolution: plan corporel séparé en deux, huit pattes, absence d'ailes, production de soie, prédation. Dans le même temps, leurs proches parents insectes ont connu une étonnante diversification. Malgré cela, les araignées occupent le septième rang de la biodiversité actuelle, derrière les cinq ordres d'insectes (Coléoptères, Hymenoptères, Lépidoptères, Diptères, Hémiptères) et les acariens (Arachnidées).

Pourquoi un tel succès évolutif en l'absence de diversification? Grâce à la production de soie répond Catherine L. Craig dans cette monographie entièrement consacrée à l'approche évolutionaire des araignées. Les soies des araignées ont par exemple co-évolué en fonction des insectes qu'elles chassent dans leur toile. Les insectes possèdent une vision qui couvre la région 300-700nm du spectre lumineux. Le maximum d'absorption par leurs photorécepteurs se situe dans les zones ultraviolettes, bleue et verte du spectre. Or, les toiles des espèces les plus archaïques d'araignées reflètent en leur centre les UV. Cette particularité sert à la capture des insectes qui se servent des UV solaires pour se diriger dans l'espace.

Dossier BIOsciences N°19.
Catherine L. Craig, Spiderwebs and silk, Oxford University Press -230p.

L'iridescence chez les insectes

Les insectes, particulièrement les papillons, affichent parfois des couleurs extravagantes par effet d'iridescence. Serge Bertthier vient de consacrer un ouvrage de référence à ce phénomène optique et biologique fascinant.  

Les animaux sont artistes, et les insectes plus que d'autres, par leurs formes et leurs couleurs. Les papillons par exemple développent des motifs colorés sur leurs ailes qui s'organisent en tâches, en lignes, en bandes simples ou composées, en ocelles... Les motifs des coléoptères sont également surprenants, avec leurs reflets métalliques. Mais surtout, ils montrent tous des iridescences, c'est-à-dire des variations des couleurs physiques dont certaines paraissent extravagantes. D'où viennent ces nuances colorées? Que peuvent en dire la science physique et l'optique? C'est la question que s'est posé Serge Berthier, professeur à l'université Denis Diderot-Paris VII, qui enseigne l'optique des solides, l'électromagnétisme et la physique des lasers, et qui s'intéresse également aux structures biologiques, à la couleur et au biomimétisme.

On peut se demander quelles sont les causes biologiques des iridescences. Car ces couleurs permettent tantôt de se cacher, de se camoufler, et tantôt de se donner à voir. Pour comprendre ce phénomène, il faut rappeler que les couleurs des papillons sont presque un accident. En effet, les chenilles passant leur courte existence à manger, elles stockent des résidus de plantes. Or ces résidus vont être utilisés pour produire les écailles des ailes. Les si belles ailes des Lépidoptères seraient donc leur déchetterie!

Une bien mauvaise déchetterie, bourré de produits toxiques... Et il s'avère que ces déchets toxiques confèrent des couleurs extraordinaires et servent à la vie du papillon. On rentre ici dans le raisonnement biologique. N'ayant pas de défense active, un papillon doit se cacher pour survivre; dès lors, ce qu'on appelle les "couleurs cryptiques" (camouflage) représentent un gros avantage adaptatif.

Se montrer pour se reproduire.

Mais les lépidoptères ne peuvent pas passer leur temps à se cacher, il leur faut s'alimenter et se reproduire. Pour se reproduire, les papillons ont besoin de se reconnaître, et donc il leur faut aussi se montrer: du coup, les couleurs constituent un caractère sexuel secondaire. Autre aspect, plus spécifique: les couleurs sombres ou le noir permettent aux papillons de jour de se chauffer. Les papillons sont en effet hétérothermes, c'est-à-dire qu'ils ne produisent pas de chaleur interne et ne peuvent donc pas la réguler.

Nous avons là trois contraintes liées aux couleurs: camouflage, attrait sexuel et source de réchauffement. Selon leur environnement, les espèces développent des stratégies plutôt axées sur l'un ou l'autre de ces facteurs. Et si la stratégie d'une espèce est de se montrer, elle a tout intérêt à arborer les couleurs les plus voyantes, et parmi celles-là, les couleurs physiques (plus éclatantes), plutôt que les couleurs pigmentées. Les choses sont un peu plus complexes, puisque certaines espèces affichent des couleurs voyantes pour envoyer aux prédateurs un signal sur leur toxicité et d'autres espèces, sans être elles-mêmes toxiques, imitent les premières pour se protéger. Dans ce dernier cas il s'agit de phénomènes de mimétisme, qu'on appelle mimétisme batésien.

Quel foyer de production des couleurs?

Revenons maintenant aux phénomènes optiques. Procédons par un effet de zoom: si l'on part des apparences macroscopiques et que l'on procède par grossissements successifs, que va-t-on rencontrer? Peut-on découvrir un foyer de production des couleurs? Sur les ailes des papillons, on observe des écailles. Selon les espèces, ces écailles sont plus ou moins bien rangées. Concernant les papillons aux plus belles couleurs, qui sont des espèces évoluées, les écailles sont en général très bien agencées. On peut distinguer différentes couches d'écailles. Une écaille fait 100 microns, ce qui est encore visible à l'oeil nu. Les écailles sont le siège de la couleur. Si on veut rentre à présent dans le détail, et qu'on grossit une écaille, on va découvrir des structures à sa surface, les stries, facilement observables au microscope.

Michelson et Rayleigh pouvaient observer ces stries. Or, on sait en optique qu'un objet strié produit de la diffraction, c'est-à-dire que la structure envoie de la lumière dans toutes les directions de l'espace (ce que l'on voit sur la surface d'un CD). A partir de là, on a considéré que l'iridescence était une effet de diffraction, dû à des réseaux de stries. En réalité, ce n'est pas si simple. Il faut analyser plus profondément les stries pour découvrir l'origine des iridescences: les stries recèlent une autre structure, beaucoup plus petite (de l'ordre du nanomètre), ce qu'on nomme des couches minces, c'est-à-dire des plateaux d'une centaine de nanomètres d'épaisseur et qui sont le siège d'interférences. Les interférences s'observent par exemple sur les bulles de savon ou sur les nappes d'huile. Ces couches se superposent les unes aux autres, formant des "multicouches". C'est là le foyer ultime de la couleur.

Dossier BIOsciences N°21.
Serge Berthier, Iridescence, les couleurs physiques des insectes, Paris, Springer-Verlag, 2003.

 

Les coccinelles, des pesticides naturels

DEPUIS quelques semaines, des colonies de coccinelles envahissent les rayons de certaines jardineries.

 

Auparavant destinés aux professionnels, ces coléoptères carnassiers remplacent désormais, chez les adeptes du jardinage bio, les pesticides chimiques. Une manière d'éviter de polluer sols, eaux et végétaux. Les grandes chaînes de magasins (Botanic, GammVert, Truffaut, Nature et Découvertes...) les proposent au prix de 12 à 14 euros la boîte de 60 à 80 larves. Les particuliers ont le choix entre deux types de coléoptères : l'un, baptisé "coccibelle" (Harmonia axyridis), a été sélectionné parmi des espèces chinoises et japonaises pour ne pas voler. Il est adapté aux potagers et aux plantes basses mais risque, à grande échelle, de perturber le biotope. L'autre, baptisé "coccifly" (Adalia bipunctata), plus gros, est issu d'une espèce européenne efficace sur les arbustes, les haies et les arbres isolés.

Les coccinelles, enfermées dans des boîtes, arrivent à un stade de développement qui leur permet d'avaler 60 à 100 pucerons par jour. Il faut donc les déposer très vite sur les plantes près des colonies de pucerons... après s'être assuré que l'endroit est dépourvu de fourmis qui, elles, protègent les pucerons dont elles apprécient le miellat. La réussite de l'opération est donc affaire d'observation et de bonne gestion du temps.

UN PRÉDATEUR DOMESTIQUE

 

Zoom

Au côté des syrphes (mouches qui ressemblent à de petites guêpes) et des chrysopes (insectes à grandes ailes transparentes), la coccinelle reste pour le jardinier le plus attirant des prédateurs domestiques. Son élevage commercial a commencé il y a vingt ans. Biotop, une petite société installée près de Valbonne (Alpes-Maritimes), en détient la licence industrielle et commerciale au profit du centre INRA d'Antibes. IF TECH, partenaire de l'Institut national d'horticulture, s'apprête aussi à en commercialiser.

En réintroduisant dans une nature trop toilettée les prédateurs capables d'anéantir les ravageurs, le jardinier du dimanche s'essaie à préserver l'écosystème et la biodiversité. "On pense avoir ce printemps une belle surprise sur ce type de produits en termes de ventes", confie Christine Viron, directrice de la communication de Botanic. L'association d'écologie pratique Terre vivante cherche à tempérer cette mode des coccinelles. "Ce n'est pas la voie que l'on encourage même si cela peut aider à apprendre à observer le jardin, explique Rémy Bacher, corédacteur en chef de la revue Les 4 Saisons du jardinage, éditée par cette association. Le fait de semer des fleurs sauvages et des haies d'arbustes champêtres, par exemple, favorise naturellement la prolifération d'insectes bénéfiques au jardin." Inutile donc d'en acheter.

Florence Amalou,

Le Monde, 12 Mai 2006.

Cette variété de Cicada sort de terre tous les 17 ans

Invasion de cigales aux États-Unis

Des milliards de cigales ont commencé d'envahir l'Est des États-Unis. Bruyantes mais inoffensives, elles attendaient sous terre depuis 17 ans. Leur vie à l'air libre ne durera pas plus d'un mois.

Les spécialistes ont beau assurer que la Cicada "ne pique pas et n'attaque pas les gens", ces derniers ne sont pas très rassurés de voir, par milliards, les cigales sortir de la terre. L'insecte aux ailes translucides, long de 2,5 à 5cm d'une espèce qui n'existe pratiquement qu'aux États-Unis, ne s'était pas montré depuis 1987. Tous les dix-sept ans -sans que l'on sache comment elle compte les années- cette cigale sort du sol pour se reproduire dans un bourdonnement assourdissant. On a vu les premières apparaître dans le Tennessee. L'invasion devrait toucher treize états de l'Est américain, qui s'attendent à une explosion de centaines de milliards d'individus. Si ces nuées d'homoptères au corps noir et aux yeux rouges vont causer quelques désagréments, les dégâts sur la végétation devraient être limités. Il est conseillé toutefois aux gens de recouvrir leurs plantes d'un filet.

En moins d'un mois, les Cicadas auront accompli leur reproduction. La ponte débutera en juin, peu de temps avant la mort des cigales. Un appendice coupant comme un rasoir, l'aviposeur, situé à l'extrémité de l'abdomen, permet aux femelles de fendre les branches pour y insérer les oeufs fécondés. De la taille de grains de riz, ils éclosent après quatre semaines. La larve se laisse alors tomber sur le sol et creuse la terre à l'aide de ses pattes avant pour s'y enfoncer, à la recherche de racines. Commence alors une attente de dix-sept ans avant de pouvoir voler à l'air libre.

Zoom

 

Ouest-France, 13 Mai 2005.

 

  Nom d'un cafard, c'est la jungle

Bushi, rumsfeldi, cheneyi... Chaque année, 15 000 espèces sont découvertes et baptisées en toute liberté. Des chercheurs proposent de créer le premier registre d'état civil des animaux, ZooBank.

Ce mardi-là, George Bush a pris le téléphone et a chaleureusement remercié l'entomologiste Quentin Wheeler de lui avoir dédié un scarabée mangeur de «moisissure gluante» (slime-mold, dans le texte). C'était il y a un an, en avril, le 26 précisément, et non le 1er comme on pourrait le penser. La conversation était aussi sérieuse que l'hommage du scientifique au chef d'Etat était sincère. Républicain et professeur à l'université Cornell, Wheeler venait d'achever un vaste examen des collections d'insectes nord-américains, au terme duquel il avait annoncé, dans l'austère Bulletin du Muséum américain d'histoire naturelle, la découverte de 65 espèces appartenant au genre Agathidium. A trois d'entre elles, il avait donné les noms, respectivement, du président américain, de son vice-président et de son secrétaire à la Défense, «des hommes qui ont le courage de leurs idées», devait-il expliquer à la presse. Ainsi, Bush, Cheney et Rumsfeld entraient au panthéon de la zoologie, sur les élytres d'Agathidium bushi, crapahutant au sud de l'Ohio, et Agathidium cheneyi et Agathidium rumsfeldi, tous deux résidant au Mexique...

Une gloire, en effet, puisqu'il est dans la tradition naturaliste de nommer une nouvelle espèce, qu'elle soit rose ou puceron, d'après son souverain ou mécène. «Peu importe l'esthétique du spécimen, précise Philippe Bouchet, professeur au département Systématique et Evolution au Muséum national d'histoire naturelle à Paris. Pour un naturaliste, toutes les espèces sont précieuses, et leur découverte, une victoire.» Ainsi Victoria est-elle, outre une reine, un pigeon ; Roosevelt, un élan, et Rothschild, une girafe. Que l'Amérique républicaine, si peu soucieuse du réchauffement climatique, soit célébrée à jamais par d'honnêtes coléoptères, voilà qui a agacé bien des dents d'écologistes politiques et scientifiques. L'affaire a cependant eu le mérite d'attirer l'attention sur la foire aux noms d'espèces dans laquelle se démène la taxonomie zoologique, au risque d'y perdre son latin, et éventuellement son âme.

Agathidium-slime-mold

(... ... ...) ZooBank pour mettre de l'ordre

«Sur les 14 000 espèces animales qu'on estime nommées chaque année, la moitié sont des insectes», souligne Simon Coppard, de l'ICZN. Or, rien qu'en entomologie, on dénombre 1 100 journaux susceptibles de publier la description d'une nouvelle espèce. Sans compter la «déferlante de e-publications», relève Philippe Bouchet, et les comptes rendus de congrès qui font l'objet de livres. Difficile de suivre l'actualité des découvertes dans ces conditions, d'autant plus que «50 % d'entre elles, pour les insectes, sont le fait de naturalistes amateurs». Résultat, personne ne peut répondre à cette question simple : combien d'espèces vivantes ou ayant vécu (dinosaures compris) connaît-on ?

L'ICZN a donc proposé une solution, simple, publiée dans la revue Nature (1) : créer, d'ici deux ans, ZooBank, une base de données où les zoologistes enregistreront gratuitement les noms de leurs découvertes et la décriront selon un formulaire normalisé. En accès libre, en ligne, et en réseau avec les bases documentaires zoologiques existantes, ZooBank contribuera «à faire de la taxonomie animale une science vraiment moderne», selon Andrew Polaszek, qui estime que «l'avenir» d'une telle base est au travail pionnier de «géolocalisation d'espèces» réalisé par l'entomologiste américain Brian Fisher en association avec Google Earth : sur le site du chercheur, on suit la répartition mondiale de diverses espèces de fourmis, et notamment celle de sa dernière découverte. Il l'a baptisée, très naturellement, Proceratium google.

 

Corinne Bensimon, Libération

(1) Nature du 22 septembre 2005.

(27 Mai 2006)

Douceur et douleur, piliers de la société des abeilles
 

Hédonistes, les abeilles ? Longtemps, les entomologistes ont considéré que leur appétence pour le sucre expliquait la division du travail qui a fait le succès de ces insectes sociaux : les individus les plus "accros" au sucrose faisaient les meilleurs butineurs, certains se spécialisant, selon leur degré de sensibilité à ce stimulus, dans la collecte du nectar (riche en sucre) ou dans celle du pollen (à forte teneur en protéines). Pour les spécialistes, la récompense offerte par le sucre était le moteur de l'apprentissage qui conduisait une abeille expérimentée à reconnaître telle couleur de fleur, telle odeur, pour devenir plus performante encore, plus spécialisée.

A l'école des abeilles, la douceur était donc maîtresse, pensait-on. Pas si simple, la douleur a aussi sa part dans l'apprentissage et le partage des tâches au sein des ruches, avance une équipe du Centre de recherche sur la cognition animale de Toulouse (CNRS-Toulouse-III).

Ces chercheurs ont testé deux comportements réflexes de l'abeille : l'allongement de la trompe au contact de sucrose ; la sortie du dard en cas de danger - en l'occurrence, un petit choc électrique.

Ils ont constaté que certaines abeilles étaient plus sensibles au sucre qu'à l'électrochoc alors que chez d'autres abeilles, on observait le phénomène inverse. Au-delà de ces tendances naturelles, les abeilles sensibles au sucre mémorisaient mieux une odeur nouvelle associée au sucre que les abeilles sensibles au choc, dont l'apprentissage était meilleur quand l'odeur à retenir était présentée conjointement avec des chocs électriques. Mieux encore, ces deux populations correspondaient à des castes différentes. Les abeilles moins sensibles au voltage comprenaient plus de gardes, tandis que les abeilles plus douillettes se recrutaient parmi les butineuses.

 

PARER CERTAINS DANGERS

"C'est logique : si vous réagissez au moindre danger, vous n'êtes pas une bonne gardienne, tandis que si vous répondez moins aux chocs, vous serez plus résistant", estime Martin Giurfa, l'un des coauteurs de l'étude dont les résultats ont été publiés, mercredi 14 janvier, dans la revue PLoS One. Pour lui, ces observations invitent à réexaminer les modèles explicatifs de la division du travail chez les insectes sociaux. "Pour que la vie sociale apparaisse, il faut une variété d'individus, présentant des différences innées, sur laquelle se construit et se renforce la division des tâches, la socialité, dit-il. On croyait que cette division s'expliquait par des réponses variables à des stimuli positifs. Nous ouvrons une nouvelle porte en montrant que des réponses "aversives" offrent aussi des voies de spécialisation."

Reste à découvrir les bases nerveuses, et pourquoi pas génétiques, de ces sensibilités diverses. Et peut-être à en tirer profit pour apprendre aux abeilles à parer certains dangers - à résister à l'appel du sucre frelaté. "A éviter des champs fleuraux traités avec tel ou tel insecticide, par exemple", avance Martin Giurfa.

Le Monde, 18 Janvier 2009,
 
Hervé Morin.