Les Fables - ESOPE

[66] LES GRENOUILLES QUI DEMANDENT UN ROI

Les grenouilles, fâchées de l'anarchie où elles vivaient, envoyèrent des députés à Zeus, pour le prier de leur donner un roi. Zeus, voyant leur simplicité, lança un morceau de bois dans le marais. Tout d'abord les grenouilles effrayées par le bruit se plongèrent dans les profondeurs du marais ; puis, comme le bois ne bougeait pas, elles remontèrent et en vinrent à un tel mépris pour le roi qu'elles sautaient sur son dos et s'y accroupissaient. Mortifiées d'avoir un tel roi, elles se rendirent une seconde fois près de Zeus, et lui demandèrent de leur changer le monarque ; car le premier était trop nonchalant. Zeus impatienté leur envoya une hydre qui les prit et les dévora. Cette fable montre qu'il vaut mieux âtre commandé par des hommes nonchalants, mais sans méchanceté que par des brouillons et des méchants.

[67] LES GRENOUILLES VOISINES Deux grenouilles voisinaient. Elles habitaient, l'une un étang profond, éloigné de la route, l'autre une petite mare sur la route. Celle de l'étang conseillait à l'autre de venir habiter près d'elle : elle y jouirait d'une vie meilleure et plus sûre. Mais celle-ci ne se laissa point persuader; il lui serait pénible, disait-elle, de s'arracher à un séjour où elle avait ses habitudes ; si bien qu'un jour un chariot qui passait par là l'écrasa. Il en est ainsi des hommes : ceux qui pratiquent de vils métiers meurent avant de se tourner vers des emplois plus honorables.

[68] LES GRENOUILLES A L'ÉTANG DESSÉCHÉ Deux grenouilles habitaient un étang ; mais l'été l'ayant desséché, elles le quittèrent pour en chercher un autre. Elles rencontrèrent alors un puits profond. En le voyant, l'une dit à l'autre : «Amie, descendons ensemble dans ce puits. - Mais, répondit l'autre, si l'eau de ce puits vient à se dessécher aussi, comment remonterons-nous ? » Cette fable montre qu'il ne faut pas s'engager à la légère dans les affaires.

[69] LA GRENOUILLE MÉDECIN ET LE RENARD Un jour une grenouille dans un marais criait à tous les animaux : «Je suis médecin et je connais les remèdes.»Un renard l'ayant entendue s'écria : « Comment sauveras-tu les autres, toi qui boites et ne te guéris pas toi-même ! » Cette fable montre que, si l'on n'a pas été initié à la science, on ne saurait instruire les autres.

[127] LE SOLEIL ET LES GRENOUILLES

C'était l'été, et l'on célébrait les noces du Soleil. Tous les animaux se réjouissaient de l'événement, et il n'était pas jusqu'aux grenouilles qui ne fussent en liesse. Mais l'une d'elles, s'écria : «Insensées, à quel propos vous réjouissez-vous ? A lui seul, le Soleil dessèche tous les marécages ; s'il prend femme et fait un enfant semblable à lui, que n'aurons-nous pas à souffrir ?» Beaucoup de gens à tête légère se réjouissent de choses qui n'ont rien de réjouissant.

[191] LES LIÈVRES ET LES GRENOUILLES Les lièvres s'étant un jour assemblés se désolaient entre eux d'avoir une vie si précaire et pleine de crainte : n'étaient-ils pas en effet la proie des hommes, des chiens, des aigles et de bien d'autres animaux ? Il valait donc mieux périr une bonne fois que de vivre dans la terreur. Cette résolution prise, ils s'élancent en même temps vers l'étang, pour s'y jeter et s'y noyer. Mais les grenouilles, accroupies autour de l'étang, n'eurent pas plus tôt perçu le bruit de leur course qu'elles sautèrent dans l'eau. Alors un des lièvres, qui paraissait être plus fin que les autres, dit : «Arrêtez, camarades ; ne vous faites pas de mal ; car, vous venez de le voir, il y a des animaux plus peureux encore que nous.» Cette fable montre que les malheureux se consolent en voyant des gens plus malheureux qu'eux.

[201] LE LION ET LA GRENOUILLE Un lion, ayant entendu coasser une grenouille, se retourna au son, pensant que c'était quelque gros animal. Il attendit quelque temps, puis, la voyant sortir de l'étang, il s'approcha et l'écrasa, en disant : « Eh quoi ! c'est avec une telle taille que tu pousses de tels cris ! » Cette fable s'applique au bavard, incapable d'autre chose que de parler.

[244] LE RAT ET LA GRENOUILLE Un rat de terre, pour son malheur, se lia d'amitié avec une grenouille. Or la grenouille, qui avait de mauvais desseins, attacha la patte du rat à sa propre patte. Et tout d'abord ils allèrent sur la terre manger du blé ; ensuite ils s'approchèrent du bord de l'étang. Alors la grenouille entrains le rat au fond, tandis qu'elle s'ébattait dans l'eau en poussant ses brekekekex. Et le malheureux rat, gonflé d'eau, fut noyé ; mais il surnageait, attaché à la patte de la grenouille. Un milan, l'ayant aperçu, l'enleva dans ses serres, et la grenouille enchaînée suivit et servit, elle aussi, de dîner au milan. Même mort, on peut se venger; car la justice divine a l'oeil sur tout, et proportionne dans sa balance le châtiment à la faute.

[271] L'ÂNE ET LES GRENOUILLES Un âne portant une charge de bois traversait un marais. Il glissa et tomba, et, ne pouvant se relever, il se mit à gémir et à se lamenter. Les grenouilles du marais, ayant entendu ses gémissements, lui dirent : «Hé, l'ami ! qu'aurais-tu fait, si tu étais resté ici aussi longtemps que nous, toi qui, tombé ici pour un moment, pousses de pareils soupirs ?» Nous pourrions appliquer cette fable à un homme efféminé qui s'impatiente des moindres peines, alors que nous-mêmes, nous supportons facilement des maux plus grands.